le jugement de la Cour internationale de justice concernant la barrière de séparation israélienne a été acclamé sur lensemble du continent. Il ne fait hélas que confirmer le refus toujours plus désespéré en Europe dadmettre la transformation du monde et dy faire face.
Sans surprise, la presque totalité des juges composant la Cour internationale de justice (CIJ) saisie de la barrière de séparation en cours de construction par Israël ont rendu un verdict négatif, jugeant illégale cette protection et appelant à son démantèlement ainsi quau versement dindemnités aux propriétaires et habitants palestiniens lésés. A la différence de la Cour suprême israélienne, cest donc le principe même dune séparation physique et non son tracé qui ont fait lobjet du jugement. Lequel constitue un acte politique qui tente dentraver laction dun Gouvernement démocratiquement élu et soutenu par une majorité dIsraéliens.
«… Les Européens s’accrochent désespérément au monde d’avant le 11 septembre,
à ses icônes internationales, à son apparence de stabilité. »
Même si les jugements de la CIJ nont en soi aucun effet contraignant, ils peuvent fonder une résolution du Conseil de sécurité. En niant explicitement à Israël le droit à lautodéfense selon larticle 51 de la Charte des Nations Unies, sous le prétexte que les violences subies ne sont pas le fait dun État étranger et quelles proviennent dun territoire sur lequel Israël exerce son contrôle, les juges de La Haye ont tout simplement fermé les yeux sur la menace du terrorisme contemporain sa dimension asymétrique, ses racines culturelles ou encore son financement transnational. Que cette interprétation aveugle dun droit périmé ait été saluée en Europe ne fait somme toute que traduire les illusions qui embrument notre continent.
Le culte de linaction dune Europe fatiguée
Comme cest désormais la règle pour les thèmes stratégiques, les commentateurs ont été unanimes à approuver le verdict de la CIJ, nhésitant pas à y voir une « victoire éthique » et insinuant parfois quil est temps pour Ariel Sharon de céder la place aux travaillistes. Les réactions outrées des Israéliens, pour lesquels la barrière de sécurité est une protection logique contre les attaques terroristes qui menacent leur existence, nont que rarement fait lobjet dun encadré. De toute évidence, une population libre de sexprimer et de critiquer a bien moins de légitimité que des juges élus par lAssemblée générale de lONU, dont le caractère non démocratique de nombreux membres reste une constante.
Mais les Européens se trompent lourdement sils imaginent que les leçons de morale émises au sein des institutions supranationales auront le moindre effet sur la majorité des Israéliens. Au contraire, les considérations passéistes de la CIJ et la énième mouture du vieux mensonge selon lequel le terrorisme palestinien serait provoqué par loccupation israélienne ne font que renforcer le discrédit de ces élites pour lesquelles lONU et ses subdivisions sont par définition lexpression du Bien. Que les premiers tronçons de la barrière aient permis une diminution drastique des attentats et donc sauvé des vies nest pas un facteur digne dêtre pris en considération. Laissez donc à vos assassins le droit de circuler librement, voilà le bon mot de la Cour !
Cet épisode tragi-comique souligne à quel point les Européens saccrochent encore au monde parallèle quils ont créé de toutes pièces à la fin de la guerre froide. Dans cette réalité alternative, la barrière de séparation israélienne devient un mur de lapartheid, mais linterdiction faite aux Juifs de fouler des terres musulmanes nindigne personne ; le camp de Guantanamo et ses 600 détenus souvent capturés larme à la main incarnent linjustice suprême, et non les goulags nord-coréens où 200’000 personnes crèvent en silence ; le procès de Saddam Hussein nest quune mascarade de justice, mais le laisser au pouvoir ne troublait guère les chancelleries ; les sévices infligés à Abu Ghraib sont une barbarie absolue, et non les décapitations rituelles des islamistes ; et ainsi de suite au fil des distorsions et des opinions transformées en faits, avec les « documentaires » de Michael Moore, le « massacre » de Jénine ou encore la « résistance acharnée » de la population irakienne.
Contrairement à ce que lon affirme souvent, les Européens ne sont pas rebutés par le simplisme consistant à séparer le Bien du Mal ; il se trouve simplement que le Mal est incarné à leurs yeux par lAmérique de Bush et lIsraël de Sharon, car ceux-ci ne respectent plus les règles acceptées par leurs prédécesseurs et sanctifiées sur le continent. Le vrai crime de Bush et de Sharon, cest quils osent agir sans passer sous les fourches caudines des institutions internationales et des élites dénationalisées que celles-ci ont générées ; agir face au terrorisme fondamentaliste et montrer son vrai visage au lieu dexpliquer son existence par des disparités économiques toujours plus imaginaires ; agir de manière décisive en utilisant des Forces armées que ces élites méprisent et refusent dengager, fut-ce pour sauver des vies.
Au-delà de tous les louanges pour la concertation, la négociation ou la prévention, il demeure le triste fait que lEurope nagit pas et réprouve ceux qui ne suivent pas son exemple. On ne fait rien pour arrêter le nettoyage ethnique au Darfour, bien quil ait déjà fait plus de 10’000 morts, et la France sest même opposée à sanctionner le régime de Khartoum. On ne fait rien pour empêcher le nettoyage ethnique inversé et progressif que connaît aujourdhui le Kosovo, où les soldats de la KFOR nont aucune marge de manuvre. On ne fait rien pour aider la population irakienne malgré deux résolutions unanimes du Conseil de sécurité. De toute manière, on na rien fait pour le Rwanda ou la Bosnie. Comment des pays qui ont laissé crever 11’700 civils dont 1500 enfants à Sarajevo pendant un siège de 4 ans peuvent encore parler de morale reste dailleurs un mystère.
Mais lEurope ne se décide pas davantage à agir de manière décisive face à lislamisme conquérant qui se répand sur son sol. En France, les Renseignements généraux ont récemment mis en garde le Gouvernement quant à la situation explosive que connaissent certains quartiers dont la population est à majorité immigrée ; le fait que ces annonces naient pas immédiatement été accusées de racisme montre certes une évolution positive. En Allemagne, les services de renseignement ont dénombré 24 groupes islamistes actifs sur leur territoire, et ont estimé que 3000 musulmans sur les 3,45 millions que compte le pays étaient prêts à commettre des attaques terroristes. Mais les Gouvernements ne mesurent toujours par la vraie dimension de cette menace.
Aux Etats-Unis, on emploie souvent lappellation « du 10 septembre » ou « du 12 septembre » pour exprimer une différence de conception : la première considère que les services de police et la loi pénale sont des armes suffisantes pour lutter contre le terrorisme, alors que la seconde a vu dans les attaques de New York et Washington la preuve dune nouvelle guerre qui exige lemploi de la coercition armée. LEurope a du mal à choisir entre les deux : elle envoie discrètement ses forces spéciales participer à la traque dOussama Ben Laden, augmente les échanges entre ses services de renseignements et sintéresse aux prédicateurs qui répandent une propagande extrémiste ; mais elle abandonne par avance linitiative, refuse un engagement offensif de ses armées et nie la guerre que les islamistes ont déclaré à lOccident.
Il est assez pathétique de mesurer les causes de cette négation. Les Européens saccrochent désespérément au monde davant le 11 septembre, à ses icônes internationales, à son apparence de stabilité. Dans un monde en pleine révolution, et rares sont les révolutions à ne pas être sanglantes, on sévertue à maintenir le statu quo, à préserver des acquis sanctifiés, à rechercher une normalité perdue. LEurope agit comme un homme fatigué, réveillé en sursaut et avide de se rendormir. Cest pourquoi il est si tentant de faire de Bush la source de tous les maux : une haine aussi consensuelle évite toute remise en question et offre lillusion que laprès-Bush signifie le retour au passé, sans tous ces attentats, ces menaces et ces proliférations.
Mais imputer tous les torts aux Etats-Unis ne pourra pas être perpétué des années durant. Croire que les Américains ont ouvert la boite de Pandore en renversant le régime de Saddam Hussein témoigne dun aveuglement stratégique et dune méconnaissance historique inquiétante pour les intellectuels qui sen font lécho. Il ne sera pas toujours possible de mandater des juges et de leur conférer une aura morale inexistante pour faire les choix politiques que lon redoute : tôt ou tard, lEurope devra développer une stratégie densemble pour ce siècle et accepter de répondre aux défis idéologiques, démographiques et économiques quil implique. A moins de se rendormir et de prendre définitivement congé dune lhistoire trop lourde à porter et dun monde trop imparfait pour ses rêveries.
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