Un peu long mais très intéressant. Il sagit du témoignage dun français présent à la Nouvelle Orléans et faisant partie des gens évacués le plus tard.
Ca fait presque peur
SOURCE: © Pascal Riché 06/09/2005 http://usa.blogs.libération.fr
Stéphane Ciblat, un Français de 33 ans, chercheur dans un laboratoire pharmaceutique à Montréal, passait le week-end à la Nouvelle Orléans avec un ami Canadien, Yannick Rose, 30 ans. Après avoir quitté leur hôtel, le Park Plaza, avec de leau jusquà la poitrine, ils ont erré sur lautoroute I-10, avant daller se réfugier dans le Superdome, le fameux stade de football couvert.
C’est grâce à ce blog (et à un commentaire posté par Stéphane sous le post "Abomination") que j’ai pu recueillir son récit au téléphone, pendant une heure. Le voici:
"Quand on est arrivés dans le Superdome, on sest installé sur la pelouse artificielle où il y avait encore des gardes nationaux. Le lendemain matin, il y avait plein de nouveaux arrivants, presque tous noirs et pauvres, et les militaires étaient tous partis. Par peur, je pense. Ils restaient aux sorties. Ils ont distribué des rations et de leau, il fallait faire la queue trois heures, mais ça allait. Des bandes de jeunes, des gangs, passaient. Ils stockaient de leau et de la nourriture, pour les revendre. Jai vu une arme, bien quon ait tous été fouillés à lentrée.
Mercredi soir, ça allait encore, des jeunes jouaient au football américain sur la pelouse, slalomant entre les gens. Mais entre 1 et 2 heures du matin, on a entendu un coup de feu. Alors après, le moindre bruit déclenchait des mouvements de panique, les gens courraient, laissant leurs enfants derrière, cétait nimporte quoi. Il y avait des bagarres, les familles réussissaient à calmer ceux qui se battaient.
Le jeudi, un petit déjeuner a été distribué, devant lentrée des camions de nettoyage de la pelouse. Puis de leau a été apportée avec des voiturettes de golf, et les gens se jetaient dessus. Il y a eu de la fumée -une poubelle en feu, paraît-il- et tout le monde a dû aller sur la promenade du Superdome, en plein soleil, pour respirer.
Les toilettes, à lintérieur, cétait une abomination. De la merde partout, des rigoles durine. Des gens déféquaient dans les couloirs, pissaient dans des bouteilles.
Jeudi, le terrain où l’ on était a commencé à sinonder. Il y a eu une première rumeur dévacuation. Mais derrière leurs barrières, les militaires répétaient Je ne sais rien. Après la rumeur a couru quun nouvel ouragan arrivait, samedi. Même commentaire des militaires: Je ne sais rien.
Finalement, jeudi matin, le Major Bush -ça ne sinvente pas- a déclaré dans un mégaphone quon allait être évacués. Il y a eu un calme total pendant deux heures.
On sest mis dans la queue, qui allait vers le centre commercial voisin par une passerelle. Ils ont séparé les hommes et les femmes, jignore pourquoi (j’ai pensé que c’était pour être fouillés, mais on ne l’a pas été). Un type qui était avec nous a été séparé de sa femme, alors quil avait déjà perdu sa maison et son boulot.
La queue, cétait le métro de Paris à lheure de pointe. On était tassés, on ne voyait pas nos pieds. On marchait sur des ordures, des couches, on explosait parfois, en avançant, des bouteilles pleines, peut-être durine. Il y avait aussi des bouteilles dalcool. Cela a duré de jeudi midi à vendredi matin, un enfer total.
Des gens sévanouissaient toutes les deux ou trois minutes. On entendait crier "somebody down" , quelquun à terre!. On évacuait ces gens vers les barrières. Une femme a perdu ses eaux. A deux reprises, il y a eu des coups de feu et on sest tous baissés. On navait rien à manger, seulement de leau. Les militaires sen foutaient. Parfois ils rigolaient entre eux. A un moment, un type près de la barrière a eu une crise dépilepsie. Il bavait, et tout. On a dit aux militaires : Sortez le bon sang!. Mais un militaire a dit: ça va sarrêter et ça ira.
A un moment, pour samuser, les militaires ont envoyé vers la foule les bouteilles deau le plus fort possible, comme au baseball. Une femme sest pris une bouteille en pleine tête. La Navy est arrivé et cétait pire encore, les soldats narrêtaient pas de nous gueuler dessus.
Depuis le car qui nous a emmené vendredi matin vers Dallas, on a vu par les fenêtres un champ de coton. Les Noirs ont rigolé: Rien a changé ont-ils dit.
Moi je savais que jallais retrouver mon appart, mon confort. Mais pour eux, le cauchemar ne faisait que commencer".