BRUXELLES (AFP) - L’interprétation de la Commission européenne sur le droit à l’embauche des fumeurs, à qui des employeurs pourraient refuser du travail sans être taxés de discrimination, suscite inquiétude et incompréhension du côté des syndicats et même des opposants acharnés au tabac.
L’affaire est partie d’une annonce d’emploi d’une entreprise irlandaise indiquant noir sur blanc aux fumeurs qu’ils “devaient s’abstenir de postuler”.
Interloquée, une députée européenne, la Britannique Catherine Stihler, a demandé au commissaire européen à l’Emploi, Vladimir Spidla, si la législation autorisait ce genre de pratiques.
Ce dernier lui a répondu “qu’une annonce d’emploi disant que les +fumeurs devaient s’abstenir de postuler+” ne rentrait dans aucune des discriminations interdites par les textes communautaires, à savoir le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap, l’origine raciale et ethnique, ou encore la religion et les croyances.
"La Commission européenne a parfaitement raison de dire que les provisions du traité (européen) sur la non-discrimination ne disent rien sur les pratiques individuelles des fumeurs", a reconnu Tom Jenkins, conseiller du secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES) John Monks.
Mais “je ne crois pas que parce que ce n’est pas dans le traité, on peut faire n’importe quoi”, a-t-il ajouté.
“Pourra-t-on à l’avenir ne pas embaucher une personne pour son poids, sa couleur de cheveux ou ses vêtements, car ces caractéristiques ne sont pas dans la liste des discriminations?”, a renchéri Fulvio Fammoni, responsable des politiques de l’emploi à la CGIL, premier syndicat italien.
“C’est quand même une forme d’atteinte à la vie privée et de discrimination que de juger un salarié parce que chez lui, le soir en rentrant du travail, il fume une cigarette ou boit un verre”, estime encore en France Jean-Claude Quentin, un dirigeant du syndicat Force ouvrière.
L’exécutif européen est ouvertement engagé dans la lutte contre le tabac.
Dans sa réponse à Mme Stihler, M. Spidla rappelle d’ailleurs que la Commission “soutient fortement l’interdiction de fumer sur les lieux de travail”, parce que cette mesure “protège la santé des fumeurs et des non fumeurs” et “aide les gens à arrêter de fumer”.
Les réactions à sa prise de position sur l’embauche des fumeurs sont pourtant aussi virulentes du côté des associations anti-tabac.
“Nous n’avons jamais demandé ça, c’est aberrant, tout à fait inutile dans la lutte contre le tabagisme”, fustige en France le professeur Gérard Dubois, président de l’Alliance contre le tabac. “Que va-t-il se passer si quelqu’un se met à fumer, ou se remet à fumer, on va le renvoyer ?”.
Selon lui, en France, on ne peut même pas poser la question lors de l’entretien d’embauche. “Un lieu sans fumée ne veut pas dire un lieu sans fumeurs. Des trains, des avions sans fumée ne veulent pas dire sans fumeurs à bord”.
“Je suis pour une société sans tabac, mais du moment qu’un (fumeur) est dépendant, c’est compliqué. On ne va pas le mettre en situation où il ne peut pas travailler”, renchérit en Belgique le docteur Luc Joris, de la fondation Rodin de lutte contre le tabagisme.
La Commission n’est “pas contre le fait que des fumeurs trouvent du travail”, nuance Katharina von Schnurbein, porte-parole de M. Spidla. Mais au regard de la législation européenne, on ne peut pas reprocher à un employeur de refuser un poste à un fumeur parce qu’il est fumeur, persiste-t-elle.
En Allemagne, Wolfgang Behrens, de l’association anti-tabac Nichtraucherbund Berlin, affirme lui ne pas comprendre toute cette “agitation”. “Les fumeurs choisissent délibérément de fumer, tandis que les personnes concernées par les différentes catégories de discriminations interdites par les textes communautaires ne peuvent rien à leur état”.