Bonjour,
Voici un article traduit de l’anglais écrit par David Edwards (source : http://www.zmag.org/weluser.htm))
C’est un peu long mais ce texte illustre bien les contradictions de nos sociétés occidentales. En ces périodes de fêtes, et folie consommatrice, il est bon, je pense, de ramener les pieds sur Terre…
Dans son livre, The Sane Society, paru en 1955, le psychologue Erich Fromm suggère que, non seulement les individus, mais notre société toute entière « manquerait de bon sens ». Fromm affirme que la caractéristique la plus malsaine de notre vie sociale est « la validation consensuelle ».
« Lorsquune majorité de personnes partagent certaines idées ou sentiments, nous convenons naïvement de la validité des ces idées ou sentiments. Pourtant, rien nest moins évident
Tout comme il existe le syndrome de la folie à deux », il existe une folie de millions. Le fait que des millions de personnes partagent le même vice ne transforme pas ces vices en vertus, le fait quils partagent tant derreurs ne fait pas de ces erreurs des vérités, et le fait que des millions de personnes partagent la même forme de pathologie mentale ne les rend pas sains pour autant. » (Fromm, The Sane Society, Routledge, 1955, pp.14-15)
Fromm en conclue de la démence de la société moderne occidentale, démence qui menace selon lui la survie de lespèce humaine.
Lopinion de Fromm peut sembler extrême, mais pas si lon en juge de récents articles traitant de la plus grande menace de tout les temps une catastrophe climatique planétaire. En 2004, le journal Nature nous avertissait que pratiquement un quart des plantes et des espèces animales pouvait disparaître dici 2050, et ceci en raison du dérèglement climatique. Depuis cette menace na cessé de grandir.
Etant préférable de sintéresser aux médias qui font preuve de bon sens, il est inutile de sattarder sur les pires que nous connaissons (journaux à scandales, tabloïds, etc.). Considérons plutôt ceux qui sont les meilleurs sur le sujet du dérèglement climatique. En Angleterre, il sagit du journal the Independent. Sur sa couverture du 3 décembre, le journal titre :
« Changement climatique : il est temps dagir. 30 nations sunissent voici ce qui nous attend si nous ne faisons rien. »
Le texte et les photos nous ofrrent la litanie dhorreurs habituelles : « orages meurtriers, épidémies, montées des eaux, extinction de la vie sauvage, pénurie deau, problèmes dagriculture, » et « le facteur x » - léventualité dun phénomène climatique soudain et dévastateur que nous ne pouvons anticiper.
La page 2 décrit un mouvement de protestation global à travers 33 pays, tandis que la page 3 sintéresse au « monument dune inconscience écologique effrayante » à Dubaï lune des plus grande piste de Ski indoor en plein milieu du désert.
« Alors que la température extérieur peut atteindre 50 degrés, le centre de ski de Dubaï consomme des milliers de watts pour maintenir un climat intérieur de 1.4 degrés tout au long de lannée.» (Maxine Frith, ‘In the middle of the desert: a monument to ecological folly,’ The Independent, December 3, 2005)
Puis, suivant cette article, une publicité pour les voitures Vauxhall, qui illustre linconscience du journal the Independent à son tour. En page 4, PC World annonce de nouveaux jeux PS2 et X-Box. Juste à côté, le journal propose une liste des « 10 choses que vous pouvez faire à la maison » pour éviter le dérèglement climatique, comme « éteindre les appareils électriques inutilisés » : « cette énergie gâchée équivaut à lémission dun million de tonnes de charbon dans latmosphère chaque année », nous dit-on.
En page 5, flymonarch.com presse les lecteurs : « Laissez le père Noël payer des centaines de vols à £1 ». A côté, un appel à laide durgence de Care International pour la « crise alimentaire en Afrique », expliquant que « les récoltes ratées, la sécheresse et la pauvreté accentuent les risques de famine des peuples dAfrique. » Ce qui nous renvoie à la couverture de the Independent qui fait le parallèle entre le changement climatique, la combustion des énergies fossiles et la sécheresse en Afrique.
« Les millions de personnes vivants sur des terres agricoles marginales telles que les pays de la région du Sahel, luttent déjà désespérément pour cultiver de la nourriture
Les images actuelles terrifiantes de la famine en Afrique ne sont rien par rapport à ce qui nous attend. »
La page qui suit les alertes à la famine générale contient une demi page de publicité en couleur pour les montres Dior Christal : « le chronographe aux 48 diamants et saphir de cristal ». Les histoires de désastre climatique imminent ont disparues. A la place, un peu dironie, et une énorme « chute des prix chez Kodak » en page 7, avec en promesse : « Le future
pour moins cher. »
La page 8 présente une publicité pour British Airways : « Londres-Malaga Aller/Retour » pour seulement £59. « Avez vous déjà cliqué ? » demande la pub aux voyageurs potentiels.
La totalité de la page 9 est dédié à la « semaine Canon » : « économisez de largent sur les offres Canon : appareils photos numériques, caméras, imprimantes et cartes mémoires. »
En page 10, Lastminutes.com décrit ces nouvelles promotions de vacances. Les Pages 12-13 vendent les téléphones British Telecom. Toute la page 15 est réservée aux « heureuses offres Citroën ». Et dautres publicités pour des vacances aux rabais, des voitures, des ordinateurs et autres matériels de haute-technologie suivent : Comet, Davidoff, Travelodge, Halfords, Vauxhall, Currys, lastminute.com, bmibaby.com (« la compagnie aérienne aux prix tout petits »), Sony, 118trades.com, The Link.
Enfin, après une douzaine de pages de cette impitoyable propagande de promotion pour la consommation de masse, le journal revient au sujet principal, celui de sa couverture, avec un editorial en page 40 : « Le réchauffement global et la nécessité que nous agissions maintenant pour éviter une catastrophe » :
« Les gouvernements doivent imposer des économies dénergie aux industries. De plus, des mesures doivent être prise pour réduire les émissions de carbone issues des transports. Cela implique de larges investissements dans le développement des énergies alternatives et la taxation des vols aériens. »
Et léditorialiste de conclure :
« Mais ce nest pas seulement les gouvernements qui ont une responsabilité. Chaque individus doit agir. En préférant la marche à pied ou le vélo, plutôt que la voiture, nous pouvons tous faire quelque chose pour réduire ces émissions. Si nous étions plus nombreux à éteindre nos ustensiles électriques quand nous ne les utilisons pas, à recycler nos déchets correctement, nos sociétés seraient moins inefficaces en terme dénergie
Si nous nagissons pas, les générations futures ne nous le pardonnerons pas. »
Puis, comme si ces mots nétaient pas apparus, la suite du journal propose des publicités, des conseils en consommation et des informations financières (« pariez sur EasyJet pour voler plus haut »). Dans son supplément vacances, the Independent presse le lecteur à brûler de lénergie fossile en grimpant dans un avion pour visiter Paris, Bruxelles, la Syrie, Panama, le Costa Rica, le Nicaragua, Aspen, Chamonix, Mallorque, lAustralie, Dubaï, la Nouvelle Zélande, la Laponie, lEspagne, lAmérique du Nord, lAutriche, lAllemagne, les Maldives, etc
Au delà du pétrole - au delà de la raison
Le lendemain, the Independent du dimanche publie 2 pleines pages de promotion sur la campagne « Au delà du pétrole » lancé par BP.
Cette annonce de BP est une imposture.
James Marriott, de lassociation de protection de lenvironnement Platform (www.plateformlondon.org), nous expliquait que les investissements de BP dans le domaine des énergies renouvelables comme lénergie solaire ou les éoliennes ne constituent que 2 % seulement de lensemble des investissement de la société.
Mr Marriott rajoute :
« la somme allouée aux énergies renouvelables est infime. Donc ils +vont+ au delà du pétrole mais à ce rythme cela prendra plusieurs centaines dannées. » (Entrevue avec Media Lens, le 13 décembre 2005)
Lopération « Au delà du pétrole » fait partie dune stratégie cynique que lindustrie appel « specials publics ». Ce genre de communication est spécifiquement destiné à the Independent, the Guardian, the Observer, the Financial Times, Prospect Magazine, Channel 4 News et the New Statesman.
Mr Marriott explique :
« Cette campagne cible lintelligentsia libérale. Elle nest pas destinée à la classe moyenne le but est de changer lopinion de ceux la qui créé. Lidée est de les rallier dans leurs rangs en créant un fossé entre eux et ceux quils considèrent comme des opposants irréductibles. Shell a utilisé les mêmes méthodes dans le passé avec beaucoup de succès. »
Néanmoins, larticle de Saeed Shah dans the Independent titre : BP voit « au delà du pétrole » en investissant 8 milliards de dollars dans les énergies renouvelables (le 29 novembre 2005)
On aurait préféré un titre comme : BP prétend vouloir aller « au delà du pétrole »
Larticle révèle quand même que le PDG de BP, Lord Browne of Madingley, admet que la société prévoit daccroître sa production de pétrole pour les années à venir. Mr Browne explique que le slogan « au delà du pétrole » ne doit pas être pris au pied de la lettre : « Il sagit plus dune manière de penser. » Il est évidemment inutile de préciser que ce nest +pas+ limpression donné par cette publicité.
Les amis de la Terre (FoE Friends of Earth) ont récemment analysé les publicités sur les voitures dans les journaux nationaux au Royaume-Uni. Ils ont découvert que les médias privilégient la promotion des voitures les moins économes en carburant plutôt que les voitures plus petites, plus écologiques.
FoE ont comparé les journaux dactualité les plus vendus et les journaux spécialisés dans lautomobile pendant les 2 premières semaines du mois de septembre. Ils ont découvert que plus dun tiers (35.8%) des publicités font la promotion de voitures de catégorie F, cest à dire des voitures qui émettent plus de 185g/km de CO2. Plus de la moitié (57.6%) sont des publicités pour des voitures dans les catégories E ou F ; soient des véhicules émettant plus de 166 g/km de CO2. Seulement 3.1% sont des publicités pour des voitures de catégories A ou B, la catégorie la plus basse, soient des véhicules émettant moins de 121 g/km de CO2.
(http://www.foe.co.uk/resource/press_releases/government_and_industry_mu_09112005.html)
Plus de détails sont disponibles auprès des agences de publicité. Ces dernières nous ont communiqué quentre le 1er janvier et le 7 octobre 2005, les sociétés Independent News et Media PLC détenteurs du journal the Independent ont perçu les revenus suivants des annonceurs :
BP Plc £11,769 (Ce chiffre a largement augmenté depuis le 7 octobre après la campagne au delà du pétrole)
Citroen UK Ltd £418,779
Ford Motor Company Ltd £247,506
Peugeot Motor Co Plc £260,920
Renault UK Ltd £427,097
Toyota (GB) Ltd £715,050
Vauxhall Motors Ltd £662,359
Volkswagen UK Ltd £555,518
BMI British Midland £60,847
Bmibaby Ltd £12,810
British Airways Plc £248,165
Easyjet Airline Co Ltd £59,905
Monarch Airlines £15,713
Ryanair Ltd £28,543
Il est intéressant de comparer ces chiffres avec les suggestions de léditorialiste de the Independent :
« Chaque individus doit agir. En préférant la marche à pied ou le vélo, plutôt que la voiture, nous pouvons tous faire quelque chose pour réduire ces émissions. »
Toujours bloqué à la case départ
La majorité des journalistes et éditorialistes, qui aiment à insister sur le fait quils couvrent la totalité des problèmes de notre société, nous explique que les lecteurs sennuieraient à mourir si ont les obligeait à lire constamment des articles contestataires. La réalité, cest que le type danalyse que vous lecteur êtes en train de lire est pratiquement introuvable ailleurs.
Et ce sont les mêmes journalistes qui nous abreuvent de ces arguments vides de sens sur « la nécessité pour nous tous dagir maintenant » contre le dérèglement climatique. Prenez nimporte quel éditorial de the Independent, the Guardian, ou nimporte quel autre journal libéral, depuis les 25 dernières années, et vous trouverez pratiquement les mêmes mots : les gouvernements doivent faire plus (surtout les américains), mais « nous » devons aussi agir nous devons faire quelque chose !
Les journalistes et éditorialistes, et peut-être aussi un grand nombre de lecteurs, ne se rendent pas compte que le débat sur le dérèglement climatique reste bloqué à la case départ. Il ne se rendent pas compte que les médias sont bloqués sur cette case pendant que dautres problèmes tout aussi important ne sont pas évoqués, pendant que rien de fondamentale ne change, pendant que ces mêmes médias qui font partie intégrante du même système corporatiste de destruction continue de dévaster le monde.
Le problème est que ces médias ont une obligation structurelle de rester positionné sur cette case départ. Quest ce quune organisation à but lucratif tel que the Independent pourrait dire sur les impacts de sa propre politique publicitaire sur la destruction de lenvironnement ? Que pourrait-elle dire à propos des méthodes impitoyables de ces propres partenaires économiques pour façonner lopinion publique à leur guise ? Que dire aussi de leur détermination féroce à privilégier les profits à cours termes plutôt que dagir pour lenvironnement ? Et qui sommes nous pour continuer à considérer ces commentaires oiseux et dérisoires comme une réponse saine à lincroyable danger qui nous attend.
Ce que lon peut dire, avec assurance, cest que nous vivons dans une société insensée.