Je nai rien à ajouter à cela :
«23% des français de 15 ans et plus jouent sur console et/ou PC. Les joueurs jouent en moyenne 2 h 45 par semaine. Mais la moitié dentre eux (50%) jouent une à deux heures par semaine. Les joueurs intensifs sont minoritaires (moins de 10 %)
Ces données relativisant létendue réelle de laddiction ne changent rien à la perception du phénomène qui inquiète les parents et ceci dautant plus quils ne comprennent pas la nature du plaisir au jeu vidéo. Dès lors que leur enfant privilégie le jeu vidéo sur une sortie familiale, ils ont tendance à penser que leur enfant est prisonnier dune addiction. Dans leur esprit une sortie en famille, ou une activité sportive de plein air, vaut naturellement mieux quun jeu vidéo où lenfant « conduit » un bolide avachi sur un canapé. Lincompréhension est générée par un choc des valeurs et des expériences vécues. Les parents ne retrouvent pas leur propre enfance dans les choix et les goûts de leurs propres enfants. Ils ont alors tendance à dévaloriser lusage de tout jeu vidéo et à voir dans toute pratique soutenue un risque daddiction.
Des pratiques différenciées
Lorsquon regarde de plus près les comportements des joueurs, on se rend compte quil y a une variation et une graduation dans les types dusage. Pour la très grande majorité des jeunes, le jeu est régulier, quotidien, mais nexcède pas une heure par jour et nempiète pas sur les autres activités ludiques et scolaires. Il sagit donc dun pratique non invasive (0). La plupart des enfants et adolescents restent à ce degré et ne vont jamais sur les autres degrés. On peut considérer quun pas a été franchi (1) lorsque le jeu, tout en restant occasionnel, se réalise occasionnellement pendant plusieurs heures daffilées le week-end ou en période de vacances (pour finir une partie). Les jeux en ligne et à monde permanent peuvent entraîner ce type de pratique qui peut rester sans suite. Un deuxième degré (2) correspond à un jeu intensif régulier pendant plusieurs heures daffilées en semaine et une grande partie du week-end. Limpact négatif sur le travail scolaire est alors rapidement évident. Cette pratique devient invasive et elle est potentiellement à risque en particulier pour la réussite scolaire. Souvent, ce comportement est un signe dappel de mal être du jeune, dans sa famille, au collège, voire simplement en lui-même. La pratique peut gagner encore en intensité (3). Le jeu est alors effectué régulièrement en soirée tard ou pendant la nuit, prenant sur les heures de sommeil et entraînant un déséquilibre des cycles entre veille et sommeil. Il saccompagne dun désinvestissement des autres activités. Cette pratique invasive entraîne une situation à risque sur le plan social. Au-delà, de ce type de pratique, on rentre dans les domaines des comportements pathologiques, avec un jeu très intensif placé au centre des activités du sujet, réduisant drastiquement les relations sociales et amenant à des conflits familiaux ou conjugaux constants (4). Enfin, on rencontre des cas rarissimes de jeu pathologique permanent entraînant une organisation de vie uniquement centrée sur le jeu avec un abandon de tous les investissements professionnels ou scolaires. Daprès le regroupement des données dans la littérature, on peut estimer entre 5% et 10 % les joueurs rentrant dans les trois dernières catégories.
Les critères de laddiction tels quils sont présentés dans la classification internationale CIM-10. Elle considère la présence dune addiction lorsquun sujet présente trois des critères suivants sur une période dun an et ayant persisté au moins un mois ou encore étant survenus de manière répétée :
- Un désir compulsif de consommer le produit. 2. Des difficultés à contrôler la consommation. 3. Lapparition dun syndrome de sevrage en cas darrêt ou de diminution des doses ou une prise du produit pour éviter un syndrome de sevrage. 4. Une tolérance aux effets (augmentation des doses pour obtenir un effet similaire). 5. Un désintérêt global pour tout ce qui ne concerne pas le produit ou sa recherche. 6. Une poursuite de la consommation malgré la conscience des problèmes quelle engendre.
La toxicomanie est la rencontre dune situation sociale, de la problématique dun sujet individuel et dun toxique. Si lon conçoit bien, intuitivement, ce que peut être la situation sociale dun joueur au comportement daddiction (isolement, adolescence, etc.), et celle de problématique individuelle (conflit, désir de rupture, violence, etc.), le troisième terme est par contre moins évident. Il ny a de toxicomanie que sil y a un toxique. Or, quel est lobjet toxique en matière de jeu vidéo ? Est-ce le contenu thématique du jeu, la passion de jouer, de se mesurer au hasard, le désir compulsif de vaincre lautre, dacquérir des points de niveau pour se transformer soi-même ? Tous ces éléments interviennent certainement dans des proportions variables selon les sujets. Cependant, lorsquon regarde le type de jeu qui est associé le plus fréquemment aux pratiques invasives, on tombe immanquablement sur des jeux en ligne à monde permanent. Le fait se comprend aisément. Dans ces jeux, le joueur est poussé à jouer continuellement car sil ne se connecte pas, le jeu continue sans lui…
Les jeux permanents en ligne (MMPORG) favorisent donc les pratiques intensives et leur puissance daddiction tient à capacité à générer une immersion profonde dans le virtuel. Par cette immersion, le sujet se retire de la réalité mondaine pour sabstraire dans une néo-réalité où règne, en partie, le principe de plaisir . Il sagit là dun processus très semblable à celui observé en toxicomanie et qui trouve dailleurs la même signature physiologique dans un métabolisme accru de la dopamine, neuromédiateur impliqué dans les circuits du plaisir. [nicotine, cannabis et opiacés augmentent la libération de dopamine] Dans laddiction aux opiacés, des récepteurs spécifiques sont créés par lingestion de la drogue et « appellent » à nouveau le produit créant ainsi une sensation physiologique de manque. Daprès la revue de la littérature sur le sujet, il pourrait y avoir une explication physiologique au problème de la pratique invasive de jeux vidéo. Ces études ont en effet démontré quune séance de jeux vidéo libère de la dopamine dans le cerveau. Cela nest en rien spécifique. On pourrait dire tout aussi bien la même chose pour lacte sexuel ou la pratique du sport [je conteste cette dernière frase, dans le cas du sport se sont des catécholamine adrénaline noradrénaline et le plaisir sexuel est généré par un relâchement dendorphine
le mode daction nest pas similaire
et puis socialement cest moins facile que de sasseoir sur son canapé
quoique
] La bonne question est de comprendre pourquoi les jeux vidéo donnent du plaisir. Répondre uniquement en terme de neuromédiateurs relève de la confusion autour des causes. La cause matérielle du plaisir (la dopamine) nest pas la cause formelle (lacte du jeu), ni la cause finale (le choix de limmersion dans un monde virtuel).
Immersion et intentionnalité réfléchissante
Or, si lon se penche sur la cause finale, à savoir la recherche de limmersion, on rencontre une série de phénomènes qui sont distincts de lexpérience toxicomaniaque. Limmersion est une expérience active, mobilisant lensemble des ressources cognitives dun sujet. Dans un monde virtuel, elle est loccasion pour le sujet de concrétiser des choix, dagir et de réagir en fonction des événements qui placent le jeu dans la dimension de lintentionnalité réfléchissante : « je » pose un acte virtuel et jévalue ses conséquences. En évaluant ses conséquences, « je » perçois une réalité nouvelle qui minvite à la modifier par un autre acte. On est très loin de la passivité de lexpérience toxicomaniaque commune. Même si dans certains cas, lingestion dun toxique peut induire une activité réflexive telle la description de leffet poétique des drogues chez Henri Michaux. La plupart du temps, la drogue exerce une emprise passive sur le sujet qui léloigne de lintentionnalité. Le sujet devient objet passif du toxique. Ce fait pourrait être certes discuté en regard des drogues comme les amphétamines ou la cocaïne qui amplifient les sensations daction et modifient aussi artificiellement lacuité du monde réel. En tous cas, dans les jeux vidéo, lacuité nécessaire au monde virtuel implique une présence accrue de lintentionnalité. Le joueur décide de ses actes. Mais il est vrai que son premier acte est la décision de privilégier linvestissement dun monde numérique à linvestissement du monde réel. En quelque sorte, laddiction au jeu vidéo, si lon accepte ce terme, résulte dabord du refus de linvestissement du monde réel comme espace de réalisation de soi.
* Un symptôme individuel…
On peut interpréter cette décision de deux façons. Elle correspond certainement à un symptôme individuel. Fuir la réalité mondaine pour sabstraire dans une autre réalité, même si elle peut partagée avec dautres joueurs, dénote incontestablement une forme de souffrance. Celle-ci peut avoir des causes multiples selon les situations ; difficultés scolaires, sociales, identitaires, familiales, sexuelles, crises existentielles de ladolescence, mal être général. Ces comportements individuels de jeu très intensif et invasif, rentrant dans les trois catégories (3,4,5) citées plus haut, peuvent à juste titre être considérés comme des appels à laide et relèvent certainement dune dimension médico-psychologique . Cette fuite peut aussi résulter dorganisations mentales pathologiques : refus pervers de toute réalité imposant des restrictions et désir conjoint dexpression dune toute puissance. Certains jeunes ne supportent pas les interdictions, les refus et les frustrations apposées par des personnes humaines, quils soient leur père, leur mère ou des représentants dautorité, et nacceptent comme limites que celles imposées par les mondes virtuels. Ils ressentent alors un sentiment de jouissance et de toute puissance à pousser le jeu à ses extrémités. En langage psychanalytique, ils fuient la rencontre avec la castration symbolique qui ne peut être portée que par des sujets humains représentant la loi oedipienne, jouissent de leur victoire sur les règles usuelles mais continuent à rechercher des limites à leur désir. Dautres jeunes, présentant des organisations mentales psychotiques, ne peuvent investir que les mondes virtuels car le monde réel est trop associé aux émotions et aux affects des relations interhumaines .
Un symptôme sociétal…
Cependant, en rester à une interprétation psychologique individuelle serait singulièrement réducteur, car la pratique intensive du jeu vidéo fait également office de symptôme sociétal Toute une classe dâge présente une appétence à utiliser les mondes virtuels comme espace dexpérience. La pratique intensive des jeux vidéo révèle une expression contemporaine de la problématique de ladolescence, celle de la nécessité de créer des dimensions nouvelles dans lespace et dans le temps. Les mondes virtuels sont des espaces de conquêtes - ce sont nos Îles au Trésor daujourdhui. Ces univers sont hors de lespace du monde adulte, et cest pour cela quils sont recherchés par les jeunes. Cette nécessité dun ailleurs se retrouve dans la recherche dune autre temporalité. Dans les microsecondes dune action virtuelle peuvent se dérouler des univers dintentionnalité et les heures de jeu intensif dilatent le sentiment subjectif de la durée. Le no life des pratiques intensives est donc une échappée hors du temps mondain qui permet en retour dassimiler en soi la banalité du temps commun. Limmersion virtuelle permet un voyage en dehors de lespace commun et de la temporalité partagée. Nous retrouvons ainsi à lâge numérique les nécessités des expériences existentielles radicales qui, de tous temps et dans toutes les cultures, ont été associées aux transitions adolescentes. La pratique intensive du jeu vidéo nest donc pas, en soi, la conduite pathologique que le regard adulte, apeuré par linconnu, lui appose trop souvent. Elle est lexpression contemporaine dune nécessité anthropologique de la construction dun ailleurs. Ses excès sont indéniables et potentiellement dangereux, mais ils signifient surtout lincapacité frappante de nos sociétés occidentales à comprendre en profondeur les besoins de nos adolescents. »