Sciences
Epidémie. La stérilisation des mâles permettrait d’éradiquer l’espèce.
Le moustique fluo cheval de Troie antipalu
Par Corinne BENSIMON
mercredi 12 octobre 2005
Dans chacune des cages, on a enfermé vingt-cinq vierges sauvages, dix mâles
également sauvages et dix mâles transgéniques, lesquels éjaculent bientôt, dans la
chaleur moite de l’insectarium, un sperme doucement fluorescent sous la lumière
ultraviolette… Halte-là. La scène n’a rien de torride, les acteurs sont des
moustiques, elle s’est déroulée dans un laboratoire de l’Imperial College de
Londres, sous le contrôle de l’équipe du professeur Andrea Crisanti, spécialiste de
la génétique des mouches et autres fléaux ailés. Il s’agit d’une des expériences qui
a permis la production, pour la première fois, de moustiques mâles dont les organes
sexuels et le sperme sont fluorescents (1). Pour la bonne cause : la technique du
mâle fluo pourrait permettre de transformer le moustique du paludisme en instrument
de l’éradication de sa propre espèce…
Le paludisme, qui tue 2,7 millions de personnes chaque année dans le monde, est dû à
l’infection par un parasite (Plasmodium falciparum) transmis par certains moustiques
(des anophèles). Les stratégies actuelles de lutte contre la malaria vont de
l’assèchement des eaux stagnantes à l’usage de moustiquaires imprégnées
d’insecticides et la prise de médicaments. Cependant, le palu tue toujours, à cause
des «trois résistances» connues des experts : la résistance de l’anophèle aux
insecticides, celle du parasite aux médicaments, et celle des pays riches au soutien
à la lutte contre le fléau. D’où un rêve qui fait l’objet de rares recherches, dont
celles menées par Crisanti : utiliser le moustique pour en finir avec le
moustique…
Depuis une quinzaine d’années, diverses approches sont envisagées pour parvenir à
cette solution radicale. La plus étudiée consisterait à disséminer des moustiques
dont les larves, produites en élevage, ont été rendues stériles par irradiation ou
traitement chimique. Cette technique a été utilisée avec succès sur d’autres
insectes. Toutefois, son application au moustique se heurte à un obstacle : il est
impensable de lâcher des anophèles femelles, fussent-elles stériles, car ce sont
elles qui transmettent le parasite. Il fallait donc trouver le moyen de trier les
mâles au berceau, pour les stériliser et les envoyer prendre la place des mâles
fertiles, les femelles ne s’accouplant qu’une fois dans leur vie de quinze jours…
Grâce à la patience de Crisanti et la contribution d’une méduse, le sexage des
moustiques est réalisé.
Les chercheurs britanniques ont injecté dans des larves d’anophèles stephensi,
responsables du palu en Asie, un gène de méduse responsable de sa fluorescence. Ils
l’ont introduit de telle sorte qu’il fonctionne en couple avec un gène du moustique
qui n’est actif que dans les seuls organes sexuels mâles et dans les spermatozoïdes.
Résultat : seules les larves mâles et le sperme sont fluos… En cage, les mâles
fluos se sont révélés aussi libidineux que les mâles «sauvages». Mieux, les
chercheurs ont démontré qu’un automate permet de «sexer» 180 000 larves en 10
heures. Produits à la chaîne, les mâles pourraient être stérilisés en masse avant
d’être largués sur les villes impaludées, angelots fluos, exterminateurs de leur
espèce et bienfaiteurs de l’humanité.
(1) In Nature biotechnology, octobre 2005
http://www.liberation.fr/page.php?Article=330363